“Hasta la evolución, siempre !”

Suivent quelques posts de documents d’archives qui, a posteriori, ne me font pas trop honte…

Pour commencer, cette lettre (envoyée par e-mail le 30/03/05) au courrier des lecteurs du Monde, suite à la publication, une semaine auparavant, par ce quotidien, d’une carte blanche d’un certain Drieu Godefridi – le nom peut sembler alléchant, et peut-être en-a-il même une grosse, mais ne vous laissez pas influencer par sa consonance : avec son allure premier de classe nerdy, celui-ci n’a jamais fait d’anal, ni même de deep throat, devant les cams ; ce sont les marchés qui l’excitent… – fondateur de l’institut Hayek, du nom de cet autre économiste ultralibéral, dépositaire intellectuel des théories d’Adam Smith…

Le Fridde dit en fait tout haut ce que maints patrons de multinationale – et même maints politiciens –  pensent de plus en plus bas, le courroux grondant. A lire ses élucubrations dignes d’un ado prépubère, publiées en pleines manifs contre l’odieux projet Bolkestein, du nom de cet ancien commissaire européen néerlandais borné dont Driew se sent proche (et du cabinet duquel un nouveau Frankenstein, à savoir Wilders, a émané), on dispose d’éléments historiques supplémentaires pour comprendre les raisons des refus français et néerlandais de la constitution européenne.

« Smith (Adam), économiste écossais (1723 – 1790). Le travail, source de richesses, la valeur fondée sur l’offre et la demande, le commerce affranchi de toute prohibition, la concurrence élevée à la hauteur d’un principe, telle est sa doctrine. » (Larousse)

Que cherche donc à obtenir Monsieur Drieu Godefridi avec la publication, dans Le Monde du 25 mars dernier, de sa carte blanche intitulée « L’enjeu Bolkstein : Dognat y peregnat ! » ?

Nous ne pouvons imaginer un seul instant qu’il puisse s’agir, dans son chef, d’une volonté de notoriété, qu’une prise de position à rebrousse-poil et (à dessein ?) provocatrice sur un sujet d’une extrême sensibilité lui garantirait par l’entremise d’une tribune assurée dans un journal européen de référence…

En effet, les propos de l’intéressé sont par trop dignes pour se voir opposer une telle critique. Qu’on en juge : il est, à son estime, inéluctable – et même souhaitable – de « baisser les impôts qui parasitent le travail », ce qui aura pour effet une « diminution corrélative et inéluctable des prestations sociales. » A charge, pour les missi dominici de la « liberté de commerce » de faire avaler la pilule à des opinions publiques que la seule évocation de l’expression « régression sociale » incite à voter pour l’extrême droite, de même qu’ils pourront leur expliquer, à ces mêmes opinions publiques, à quel point elle sont opposées à l’harmonisation sociale européenne par le haut.

Eminemment dignes, les opinions de Monsieur Godefridi sont également très bien inspirées. Ainsi, il est question de « forces créatrices de la concurrence », mais aussi de « fragment d’ADN logique [qui] restera pour l’éternité dans la pierre du Berlaymont » [le siège de la Commission européenne] : voilà la mythologie de l’Ancien Testament et la science moderne transcendées d’un coup par le commerce !… Celui-ci est en effet présenté à la fois comme naturel – sans nul doute une nouveauté dans l’argumentaire ad hoc – et résolument moderne, n’en déplaise à Adam Smith.

Que les mauvais esprits s’abstiennent de rappeler les conditions de vie des travailleurs au XIXe. siècle, l’exploitation des faibles, le travail forcé des enfants dans des conditions « cadavériques », l’absence de protection sociale et l’arbitraire du capital qui y étaient la règle : tout cela n’a-t-il pas contribué, in fine, par l’entremise d’une « saine concurrence », à la prospérité de nos sociétés actuelles ?

Que ces esprits malveillants et subversifs se gardent également d’évoquer certaines situations de détresse sociale bien contemporaines : Monsieur Godefridi – pareil, en cela, à Monsieur Zemmour, au demeurant – leur rétorquerait que ce n’est pas d’êtres humains qu’il parle, mais de système. Un système naturel – ici s’arrête la comparaison – unique, sans échappatoire, qui organise la concurrence mais ne tolère en aucun cas d’être lui-même concurrencé. L’agitation quasi rituelle du spectre de Staline dans les années nonante, et de celui de Trotski aujourd’hui, est supposée, à cet égard, parer les éventuelles critiques.

Ce système, c’est le Tout-Commercial : toute l’organisation sociale y repose sur le privé, tout (y compris la culture, la santé, l’ordre public, et pourquoi pas, demain, l’enseignement) se monnaie.

S’il faut se réjouir de la mise à plat du dogme soviétique, faut-il pour autant remplacer ce dernier par un nouveau dogme ?  « Les forces créatrices de la concurrence […] obligeront les Etats de l’Europe de l’Ouest à épurer leurs législations », ceci résultant en une « diminution […] inévitable des prestations sociales […], un mouvement que les incantations conservatrices [Sic !] » ne peuvent arrêter. L’harmonisation fiscale et sociale est-elle souhaitable et souhaitée par les autres Etats européens ? « [D]eux fois non ! » « Il n’existe aucune alternative [à la règle du] pays d’origine. »

Mais, puisque les libertés d’opinion et d’expression ne sont pas encore tout à fait commercialisées – encore que le processus soit bien en cours – pourquoi ne pas placer Monsieur Godefridi devant les contradictions de son dogme en lui posant ces quelques questions :

–          Si le travail est une valeur centrale, pourquoi les entreprises qui ont engrangé en 2004 de plantureux bénéfices ne réinvestissent-elles pas ceux-ci dans d’ambitieux plans de recherche et développement, et de recrutement, sur base de besoins nouveaux ? Leurs charges sociales les en empêchent-elles ?

–          Est-il rationnel, de la part d’entreprises bénéficiaires, d’attribuer la part généralement la plus importante de leurs bénéfices à des fusions / acquisitions, ainsi qu’au paiement des  dividendes de leurs actionnaires, compte tenu des défis du présent, dans les domaines pharmaceutiques (vaccin contre le HIV / guérison du SIDA,…) et énergétique (alternatives au pétrole et au nucléaire) notamment ?

–          Pourquoi continuer de nier qu’un chômage structurel d’une dizaine de pourcents au moins de la population active présente un certain  nombre d’avantages pour les employeurs : vivier de recrutement, pression sur les salaires, les conditions de travail et les prestations sociales (comme l’indique Godefridi lui-même), aides à l’embauche, diminution des charges salariales et délégation de la formation aux pouvoirs publics, notamment ?

–          Comment concilier intellectuellement le militantisme des organisations patronales en faveur d’une baisse des prestations sociales, et les avantages “étatiques” déguisés dont bénéficient de nombreuses entreprises ?

–          Pourquoi la collectivité, l’Etat, devraient-ils assumer les coûts liés à l’irresponsabilité des entreprises, notamment en ce qui concerne la pollution de sites naturels ?

–          Est-il égalitaire – ou simplement juste – de mettre en concurrence des pays, des continents, qui sont loin de disposer des mêmes atouts, imposant de facto à certains ce que d’autres décident ?

–          Quelle protection sociale l’Europe (et, plus particulièrement, les citoyens européens « précarisés ») est-elle autorisée à conserver si elle est mise directement en concurrence avec des puissances économiques émergentes comme la Chine, le Brésil ou l’Inde ? A l’échelle du monde, le débat mené en Europe par les tenants de la dérégulation sociale n’est-il pas purement idéologique ? Ne s’agit-il pas d’appliquer à la réalité, par la méthode douce ou par la méthode forte, les conclusions de cogitations spéculatives et théoriques, systémiques donc ?

–          La logique (purement humaine ? Masculine ?) de conquête et de concentration des pouvoirs et des richesses n’implique-t-elle pas, si le marché peut s’organiser à sa guise, la constitution de nouveaux monopoles, privés cette fois, dont Microsoft serait l’un des précurseurs ? En d’autres termes, la concurrence n’est-elle pas qu’un paravent, une étape transitoire vers l’avènement du Grand Soir revu et corrigé que serait la dictature de l’entreprenariat, qui verrait chaque activité se structurer verticalement et se concentrer en une corporation gigantesque, monopolistique et omnipotente ?

Compte tenu du simplisme du dogme « nouveau » qu’il défend, il est dubitable que Monsieur Godefridi parvienne à répondre à ces questions.

A dire vrai, à l’heure où Fukuyama himself annonce le retour de l’Etat – mais un Etat rénové, décomplexé, qui n’a plus que de vagues liens avec l’Etat-nation de la période romantique, encore moins avec l’Etat-repoussoir du régime soviétique – Messieurs Bolkestein et Godefridi et leurs parents idéologiques ne constituent-ils pas l’arrière-garde d’une théorie déjà dépassée ? Par leurs propositions odieuses pour quiconque garde un tant soit peu le contact avec certaines réalités contemporaines, ne contribuent-ils pas, en fait, à l’autodestruction du capitalisme ? En d’autres termes, leur fanatisme ne fait-il pas d’eux, à terme, les meilleurs détracteurs du système qu’ils prétendent défendre et promouvoir ?

Quoi qu’il en soit, jamais le monde, jamais l’Europe, ne résisteraient sans convulsions majeures à l’application du programme dogmatique mis en avant par l’institut Hayek et d’autres du même acabit. Mais, après tout, quelle importance : l’avenir de l’Europe ne passe-t-il pas, en effet, par sa « municipalisation » ?

Pour faire face à de telles incantations, il est plus que jamais dans l’intérêt des responsables politiques européens de percevoir l’enjeu – avec le trio infernal, on est servi !… – en entamant enfin sur la place publique le débat relatif à la constitution d’un noyau dur d’Etats pionniers qui avanceraient de concert dans la construction d’une Europe fédérale et sociale et créeraient un effet d’entraînement.

Les citoyens attendent un signal de mobilisation et d’espoir pour conjurer l’impression de bateau ivre qu’ils accolent depuis de trop nombreuses années à l’Europe, et qu’instrumentalisent cyniquement des prophètes de malheur de la trempe de Godefridi, qui deviennent par là même les alliés objectifs de personnages peu recommandables tels que Farage et Villiers (Paix à son âme !…).

Ce signal pourrait être celui-là !

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